Chambre avec vue sur la nature !

Appartement Christophe Pillet Hotel Sezz Saint-Tropez. TROPEZ

Vous souvenez du FRAME Lounge Bar à Paris, ses lignes simples et ses belles matières, Christophe Pillet à une sens du design qui me parle instantanément.  J’aime beaucoup sa manière d’utiliser les couleurs uniquement par simple touche pour venir habiller un espace intemporel avant tout hors du temps.

Aujourd’hui, c’est à Saint-Tropez que je vous emmène, architecte, designer scénographe  Christophe Pillet a imaginé l’hôtel Sezz en pensant « vacances à la mer,  repos, ombre et soleil, courants d’air frais, Sud profond et fierté locale ».

Avec beaucoup de modestie, il se confie à mon amie Emmanuel Tellier dans une interview à cœur ouvert où il nous parle de cet hôtel qu’il a réalisé à Saint-Tropez ainsi que de sa manière de travailler et de sa vision du design.  Merci Emmanuel pour cette interview en or !

 

Passer du design d’objets au design appliqué à l’hôtellerie, c’était pour vous un trajet naturel ?

Oui, car je suis bien entouré ! Dans mon métier, l’expertise technique est quelque chose qu’on partage, et parfois qu’on délègue, à des gens qui ont des savoirs très spécifiques, très pointus, des cabinets d’étude par exemple. Cela veut dire que le designer n’a pas à porter seul le poids de toutes les connaissances techniques – ce qui serait une volonté stupide, et de toute façon vouée à l’échec. Il est accompagné, et doit savoir s’entourer intelligemment, selon le sujet qu’il aborde.

Je me vois comme un créatif, et ce qu’on attend de moi, c’est presque un travail d’« auteur ». On me demande mon point de vue sur un sujet, par rapport à un moment donné de l’histoire. Mon métier n’est pas très loin de celui du romancier, ou du réalisateur. Or, on ne choisit pas un réalisateur parce que c’est celui qui sait le mieux tenir la caméra (pour ça, il doit savoir s’entourer), mais pour la qualité de son regard, pour sa sensibilité au monde qui l’entoure, et ce qu’il a à en dire. Je mets des guillemets à « auteur », car je ne veux pas que l’usage du terme soit pris pour une marque de prétention, mais il y a quelque chose de cet ordre-là. J’apporte mon regard, et une connaissance de mon métier qui me permet de mener à bien un projet en sachant m’entourer au mieux.

Pour l’hôtel Sezz de Saint-Tropez, votre dernier travail, par exemple, combien de personnes vous entourent ?
Dans le cadre de mon agence, à Paris, il se trouve qu’on est assez costauds sur tout un tas de questions d’architecture et que, du coup, nous en avons déjà en interne beaucoup des savoirs concernés. Cela signifie qu’au moment de la conception, on s’en sort seuls. C’est quand vient la réalisation qu’on recrute. Dans le cas d’un hôtel, on réfléchit en termes de lots – la menuiserie, l’ébénisterie, la maçonnerie : voilà autant de lots différents. Pour le Sezz, cela correspond à dix lots, c’est-à-dire dix fortes expertises qui accompagnent notre travail, dix interlocuteurs très impliqués. Particularité de ce projet : j’ai aussi fait appel, très tôt, à un paysagiste. C’est la beauté du lieu qui l’exigeait. 

“Pour le Sezz de Saint-Tropez, j’ai pensé
vacances à la mer, j’ai pensé repos,
ombre et soleil, courants d’air frais,
Sud profond, fierté locale…”

Comment est née l’idée de ce nouveau lieu ?
Par association d’idées, justement. Le propriétaire du Sezz aimait un des meubles que j’avais dessinés, et de notre discussion autour de ce meuble est née l’idée d’un travail beaucoup plus vaste. Nous en parlions donc bien avant qu’il ait trouvé ce site à Saint-Tropez… Il ne connaissait de moi que mes meubles, mais en savait manifestement assez sur ma capacité à imaginer, visualiser, penser un lieu et l’histoire qu’il raconte.

 Vous travaillez à partir de cahiers des charges ?

Dans la parfumerie, oui. Mais dans le cas du Sezz, non, ça s’est fait très simplement, sans besoin de trop verbaliser. Des hôtels, j’en ai fait, en tout, quatre ou cinq, et j’en termine un autre actuellement, et je ne crois pas avoir jamais eu de véritable cahier des charges. La discussion est orale, dans une relation de personne à personne, et elle va souvent assez vite. On se sent même assez libre, quand on est designer… En fait, c’est vraiment comme lorsqu’on fait un cadeau à quelqu’un : dans l’absolu, le choix est très large, mais dans les faits, quand on connaît bien la personne et qu’on veut y mettre une part de soi, alors le choix se réduit à deux ou trois possibilités maximum. Eh bien, mes réponses possibles à ces gens qui me demandent des hôtels ne sont pas plus larges que ça. Je suis libre, mais je ne vais vraiment pas faire n’importe quoi : je navigue entre très peu d’options.

Vous touchez à beaucoup de domaines de créations différents, des bijoux pour Cartier, des flacons de parfum, l’aménagement de boutiques pour Lacoste… Au risque de la dispersion ?
Je ne crois pas, et si je ne sens pas un projet, de toute façon, je dis simplement non, je n’y vais pas. Mais, le plus souvent, quelque chose me vient. Mon regard d’« auteur » (encore une fois : avec des guillemets !) reste rarement sans réponse à la question qu’on me pose. Et vous savez, souvent, même les grandes marques industrielles recherchent une part de cette candeur qu’un nouveau regard peut apporter. Je me souviens m’être retrouvé en Suède, chez Whirlpool, face à des gens qui me disaient : « On voudrait que vous nous dessiniez des micro-ondes ! » J’ai répondu : « Mais des gens qui font des micro-ondes, vous devez en avoir des dizaines ici-même, dans l’entreprise, non ? » Et on m’a répondu : « Oui… justement… On a envie de changer de regard, donc on vous sollicite. »

“On a aimé ça, cette neutralité,
ce confort standard,
ces couleurs neutres dans les hôtels…
Mais on s’en est lassé !”

Revenons à votre regard sur les hôtels… Quelle représentation mentale avez-vous d’un lieu comme le Sezz de Saint-Tropez quand vous commencez votre travail ? Vous pensez comment ? En termes de couleurs ? De matières ?
Je réfléchis en termes de climat. Comme on le dirait du climat d’un roman ou d’un film. Quand je visualise le lieu, je me pose des questions liées à l’expérience recherchée. C’est-à-dire : en quoi la relation d’une personne se trouvant dans cet environnement va produire des émotions agréables pour elle. En fait, c’est très proche de la cuisine : il y a des ingrédients, et je dois jouer avec, je dois les accommoder. D’ailleurs, le Sezz Paris, hôtel urbain qui se revendique très parisien, ne ressemble en rien à celui de Saint-Tropez. C’est le même cuisinier, mais il accommode les mets autrement… L’uniformité des hôtels, un peu partout dans le monde, dans les années 90, fait vraiment partie du passé. On a aimé ça, cette neutralité, ce confort standard, ces couleurs neutres, mais on s’en est lassé ! Aujourd’hui, il faut de l’unicité ! Et les lieux se doivent d’être beaucoup plus inscrits dans une réalité locale : quand je vais au Japon, j’ai envie de sentir que je suis au Japon, et pas dans une copie de style new-yorkais… Pour le Sezz de Saint-Tropez, j’ai pensé vacances à la mer, j’ai pensé repos, ombre et soleil, courants d’air frais, Sud profond, fierté locale… Tout un scénario mental assez rapidement formulé, mais qui a demandé ensuite des mois de travail pour le rendre concret et abouti. Puis, nous avons travaillé longuement… Mon travail d’« auteur » a pris forme. En n’oubliant jamais une autre donnée esssentielle pour moi : je dois aussi penser à la pérennité de ce que nous concevons. Un designer ne peut pas se contenter d’essayer de saisir l’air du temps – forcément périssable –, d’être dans le présent ou le futur proche. Il doit aussi se projeter quelques années plus tard, il a une responsabilité. Toujours.

PS : Interview original Paru dans le Télérama – Photo Yves de Contades et Manuel Zublena


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